Kit de survie / Décryptages
S’il n’y avait pas de vignes en Bretagne administrative avant, c’est peut-être pour une bonne raison, non ?
Oui.
Et non.
La formulation de cette question, réellement (et souvent) entendue, et très intéressante. Elle montre à quel point notre vision du vin est amnésique et formatée. Oui oui. 🧐 Plusieurs points :
1 – Si, il y a déjà eu des vignes en Bretagne administrative
Pendant très longtemps, il y a déjà eu du vin en Bretagne (administrative), mais aussi en Normandie, dans les Hauts de France, en Ile de France, etc. Le territoire couvert aujourd’hui par la Bretagne administrative n’a jamais été une région identifiée comme étant « viticole »; et les traces d’un vignoble, quand elles existent, sont très sommaires (un nom de lieu-dit, le plus souvent). Mais l’on a déjà produit du vin là-bas dans le passé. Impossible de dire s’il était « bon » selon nos critères actuels, mais en tout cas il était apprécié à son époque.
2- Jusqu’en 2016, planter des vignes en Bretagne administrative, c’était interdit
Jusqu’en 2016 en France, planter de la vigne en dehors des « zones viticoles » était interdit. CQFD. L’ouverture des droits de plantation par l’Union européenne a mis fin à cette spécificité française. La plantation de vigne reste extrêmement réglementée, mais un professionnel peut demander des droits à planter partout en France.
📸 Photo prise chez Mathieu Le Saux et Noémie Vallélian, de la @fermedeportcoustic , sur l’île de Groix. 100% BZH.
3 – Le terroir viticole est une construction sociale, pas un fait naturel
Déjà, pour commencer : le sous-sol breton, c’est du granit (et toutes ses variantes). Et il y a des « grands vins » qui naissent sur le granit.
Ensuite : le concept de « terroir viticole » est complexe, assez flou, et recouvre à minima plusieurs aspects. S’est imposée l’idée que le vignoble a prospéré dans les « bons » terroirs, le tri s’opérant naturellement grâce à leurs qualités intrinsèques. Une forme de sélection naturelle du vignoble…
Mais c’est oublier qu’un terroir viticole, c’est aussi une affaire d’opportunité, de débouché commercial, d’audace entrepreneuriale, de contexte politique, etc. Si le vin a disparu des Hauts de France, c’est d’abord parce que le vin du Sud de la France était moins cher à produire (grâce à un climat plus favorable), et tout aussi facile à acheminer vers la capitale grâce à de nouveaux moyens de transport. La « qualité », c’est ça aussi.
Voici la description du terroir telle que définie par l’OIV : « C’est un concept qui se réfère à un espace sur lequel se développe un savoir collectif, des interactions entre un milieu physique et biologique identifiable et les pratiques vitivinicoles appliquées, qui confèrent des caractéristiques distinctives aux produits originaires de cet espace. Le « terroir » inclut des caractéristiques spécifiques du sol, de la topographie, du climat, du paysage et de la biodiversité ».
Voici aussi ce qu’écrit la sommelière Pascaline Lepeltier, dans son fabuleux ouvrage « Mille Vignes » (éd. Hachette Vins, 2022) :
« Justifier la qualité des vins par le terroir revient à une posture intellectuelle d’autojustification en partier erronée, en tout cas manquant d’intégrité. On en comprend les enjeux, notamment financiers. Mais n’est-il pas tout aussi important, surtout pour le futur de la viticulture face aux défis climatiques et biologiques, de souligner la liberté, le vouloir et le pouvoir humains ? Ni fatalisme ni déterminisme, ni relativime absolu : le vin de qualité est avant tout une dymanique créatrice et non figée. »
4- Le changement climatique change tout
Le changement climatique bouleverse la carte viticole. La température moyenne actuelle de Rennes est celle de Bordeaux il y a cinquante ans. Et certains scénarios évoquent une « méditerranéisation » de la Bretagne.
Données de la géographe Valérie Bonnardot : Analogie thermique ? Températures moyennes 1946-2023 à Rennes et Bordeaux. Capture d’écran, conférence de mars 2024 à la Cité du Vin de Bordeaux.
5- Un grand vignoble ?
Aucun des vignobles dits « émergents » n’envisage de reproduire les bassins de production spécialisés du passé, en crise aujourd’hui. A priori, la vigne ne va pas recouvrir la Normandie ni le Finistère tout de suite. Donc pas besoin de calquer des grilles de lecture du passé à ces nouveaux marchés…
Participez au vin de demain !
Une veille mensuelle ciblée sur les futurs du vin, les combats progressistes à mener, les innovations techniques ET politiques à tester… Chaque mois dans votre boîte mail. Il suffit de s’abonner.